En direct
A suivre

Présidentielle en Turquie : pourquoi Sinan Ogan, troisième homme de l'élection, a-t-il un rôle clé à jouer ?

Sinan Ogan a déclaré qu'il devait «consulter les partis politiques qui composent l'Alliance ATA» avant d'appeler à voter pour l'un des deux finalistes de l'élection présidentielle turque. [Adem ALTAN / AFP]

Avec 5,3% des voix, Sinan Ogan est arrivé en troisième position au premier tour de l'élection présidentielle turque. Son report de voix pourrait être crucial pour la suite du scrutin.

Il n'est plus dans la course pour devenir le prochain président turc, pourtant Sinan Ogan a un rôle clé à jouer dans le cadre du second tour de l'élection. Ce candidat ultranationaliste, qui a remporté 5,3% des voix lors du premier scrutin, n'a pas encore fait part de sa consigne de vote et le report de ses voix pourrait être décisif pour départager Recep Tayyip Erdogan et Kemal Kiliçdaroglu.

Sa prise de position est d'autant plus attendue que la tenue d'un second tour pour l'élection présidentielle est inédite en Turquie. Sans compter que seuls quelques points séparent les deux finalistes, qui seront à nouveau opposés le 28 mai prochain. Au premier tour le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, a remporté 49,5% des voix contre 45% pour Kemal Kiliçdaroglu, le chef de l'opposition.

Un dissident du Parti d'action nationaliste (MHP)

D'origine azerbaïdjanaise et âgé de 55 ans, Sinan Ogan est diplômé en administration des affaires. Il est entré au Parlement turc en 2011, sous l'étiquette du Parti d'action nationaliste (MHP), classé à l'extrême droite et connu notamment pour ses positions anti-kurdes et sa branche armée, les Loups gris.

Le quinquagénaire s'est toutefois écarté du MHP à partir de 2015, parce qu'il n'acceptait pas le rapprochement du parti avec le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Sinan Ogan a quitté et réintégré le MHP à plusieurs reprises, avant d'en être définitivement exclu en 2017. Aujourd'hui, le MHP est un allié direct du Parti de la justice et du développement (AKP), celui du président sortant.

Pour cette élection présidentielle, Sinan Ogan était le candidat de l'Alliance ancestrale, une coalition qui regroupe quatre formations aux positions nationalistes. Il a d'ailleurs indiqué, à l'issue du premier tour, qu'il devait «consulter les partis politiques qui composent l'Alliance ATA» avant d'appeler à voter pour l'un des deux finalistes.

La question de la minorité kurde

S'il s'est franchement opposé à Recep Tayyip Erdogan au cours de son parcours, Sinan Ogan rejoint pourtant l'actuel président turc sur plusieurs sujets. En tant qu'ultranationaliste, il partage notamment son rejet de la minorité kurde.

Sur ce point le deuxième finaliste, Kemal Kiliçdaroglu, est plutôt isolé puisqu'il prône l'apaisement et bénéficie en cela du soutien kurde. En cas de victoire, il a même promis la libération de Selahattin Demirtas, leader du HDP, le Parti démocratique des peuples, une formation de gauche pro-kurde. Ce dernier est en détention depuis 2016, pour «propagande terroriste».

Comme le rappelle franceinfo, Sinan Ogan a indiqué lors d'une interview au média allemand Der Spiegel qu'il pourrait envisager de soutenir Kemal Kiliçdaroglu à condition que le HDP soit «exclu du système politique». Ce qui place le chef de l'opposition dans une position délicate.

Opposé à l'immigration syrienne

Lors de sa campagne, Sinan Ogan a été très clair quant à sa position concernant l'immigration, et notamment l'immigration syrienne. Il a tout simplement plaidé pour le renvoi des plus de trois millions de réfugiés syriens vivant sur le sol turc. «Tous les réfugiés doivent rentrer chez eux, avait-il déclaré en conférence de presse. Le candidat qui est d'accord avec cela et qui met cette politique en pratique, je voterai pour lui.»

Or, sur ce point, le candidat de l'ATA est plus proche du chef du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu. Ce dernier veut rétablir le lien avec le dirigeant syrien Bachar al-Assad afin d'organiser le rapatriement des réfugiés «dans les deux ans».

De son côté, Recep Tayyip Erdogan est plus ambivalent. Début mai, il a promis la construction de logements et d'infrastructures dans le nord-ouest de la Syrie, afin d'y installer les réfugiés syriens de Turquie et faciliter leur «retour».

Mais, avant le premier tour de l'élection, le président sortant a aussi dit vouloir «protéger jusqu'au bout nos frères chassés de Syrie par la guerre», refusant de «les renvoyer dans la gueule des meurtriers». Un discours qui a conduit Kemal Kiliçdaroglu a accusé le chef de l'Etat de vouloir «naturaliser les réfugiés pour acheter leurs votes».

Un défenseur de la laïcité

Recep Tayyip Erdogan et Sinan Ogan sont tous deux nationalistes mais le second, contrairement au premier, défend un nationalisme laïc. Interrogé par franceinfo, Max-Valentin Robert, chercheur en sciences politiques à l'université de Nottingham (Royaume-Uni), affirme même que le troisième homme de l'élection turque «vient d'une droite très méfiante de la droite islamiste» d'Erdogan. En cela, il apparaît plus proche de Kemal Kiliçdaroglu, qui défend lui aussi le principe de laïcité.

Sur le plan idéologique, les deux finalistes se rapprochent et s'éloignent tour à tour de Sinan Ogan, en fonction des thématiques. Pour l'heure il paraît donc difficile d'affirmer avec certitude quelle sera sa consigne de vote, sachant en plus que la décision ne reposera pas uniquement sur le débat d'idées.

Des négociations pourraient aussi avoir un rôle décisif puisqu'avant même le premier tour du scrutin, Sinan Ogan avait déclaré, lors d'une interview : «Nous ne serons pas des partenaires gratuits». Il avait alors précisé que son parti aurait «des demandes» liées notamment à l'attribution de «ministères».

Reste que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, pourtant annoncé usé et perdant après vingt ans de pouvoir, sort renforcé du premier tour du scrutin. Conservant sa majorité au Parlement, le «reis» n'a pas subi l'impact de la crise économique et du séisme dévastateur du 6 février au premier tour. Annoncé en position de force, il doit malgré tout se soumettre à un second tour, face à une opposition sûre de sa victoire.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités