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Présidentielle en Turquie : «Le système électoral est là pour faire gagner Erdogan», selon le politologue Cengiz Aktar

Après deux décennies à la tête du pays, Recep Tayyip Erdogan vise un troisième mandat en tant que président de la Turquie. [© Presidential Press Office/Handout/Reuters] [Presidential Press Office/Handout/Reuters]

Près de huit semaines après le séisme, la campagne électorale pour la présidentielle du 14 mai prochain commence ce vendredi 31 mars en Turquie. La date de l’élection a été maintenue malgré le traumatisme subi. Le politologue Cengiz Aktar revient pour CNEWS sur ce duel serré entre le président sortant Recep Tayyip Erdogan et le candidat des oppositions, Kemal Kiliçdaroglu.

Ce vendredi 31 mars, les Turcs pourront connaître la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle du 14 mai prochain, marquant le début de la campagne électorale. Pour l’heure, deux candidats ayant déjà annoncé leur candidature à la tête de la Turquie sortent du lot.

Il s’agit du président sortant Recep Tayyip Erdogan et de son rival Kemal Kiliçdargolu, candidat de toutes les oppositions.

Cengiz Aktar, politologue turc et auteur du livre «le malaise turc» aux éditions Empreintes, revient pour CNEWS sur cette présidentielle qui, à en croire les oppositions, pourrait faire tomber le régime de Recep Tayyip Erdogan.

Exactement 97 jours après le séisme dévastateur, la Turquie tiendra sa présidentielle. Pensez-vous qu’Erdogan avait raison de ne pas reculer la date de l’élection ?

Cengiz Aktar : Au début, les dirigeants du parti AKP d’Erdogan tentaient de faire reculer la date de la présidentielle. Mais, ils se sont rendus compte que cela allait jouer contre eux parce que l’économie va très mal. Elle est tenue à bout de bras.

Ils n’allaient donc pas pouvoir assurer leur victoire comme ils l’espèrent. Si on dépasse le 14 mai, personne ne peut prévoir l’État de la Turquie, quels que soient les résultats des urnes. Les dirigeants ont donc préféré maintenir la date retenue avant le séisme du 6 février.

Concrètement, comment Recep Tayyip Erdogan est-il vu par les Turcs actuellement ?

Dans l’histoire centenaire de la République de Turquie, il n’y a jamais eu autant de support de la population pour ce président et son régime. Quelles que soient les erreurs, la corruption et les violations de la Constitution et des lois, il reste 30% de la population, selon les derniers sondages, qui est prête à voter pour Erdogan. C’est du jamais vu, ni en Turquie, ni dans une démocratie qui fonctionne.

Quelles que soient les erreurs, il reste 30% de la population prête à voter pour Erdogan.

Par ailleurs, c’est ridicule de parler de «démocratie» en Turquie. D’après l’index de l’État de droit, la Turquie se trouve parmi les derniers du classement. C’est un pays totalitaire qui n’est pas démocratique du tout.

Même avec ce qu’il s’est passé au moment du séisme et la réponse du gouvernement tout aussi catastrophique, les intentions de vote ont baissé un peu. Toutefois, il n’y a rien de significatif pour renverser la vapeur.

Avec une inflation débridée de plus de 55%, un séisme qui a montré la fragilité des infrastructures et un effondrement de la livre turque… Pensez-vous qu'Erdogan pourra accéder une troisième fois au trône ?

En Turquie, depuis 2015, il n’y a pas eu d’élections libres et justes. Elles étaient toutes plus ou moins truquées. Mais là, avec la perte des grandes métropoles en mars 2019, le régime a tout fait pour boucler le système électoral, de A à Z, sans laisser aucune faille qui puisse jouer contre lui.

Aujourd’hui, arithmétiquement parlant, ce président n’aurait aucune chance de remporter la présidentielle. Néanmoins, de par l’ingénierie électorale qu’il a mise en place depuis mars 2019, il y a de très fortes chances qu’Erdogan remporterait la course au palais «après les urnes» en «volant» les élections, présidentielle et législatives, comme ce fut le cas avec Alexandre Locachenko en Biélorussie.

En Turquie, depuis 2015, il n'y a pas eu d'élections libres et justes.

Le régime pourrait littéralement voler. Concrètement, lorsque les bulletins de vote seront rapportés au Conseil électoral suprême (YSK), le résultat qui va sortir pourrait être très probablement au bénéfice d’Erdogan et de son régime. À savoir aussi que les bulletins de vote seront comptabilisés par une société d’ingénierie militaire qui appartient à la Fondation des forces armées turques Havelsan, et que les onze membres du YSK sont tous des serviteurs du régime et nommés par Erdogan.

De l’autre côté, les oppositions peuvent-elles rêver d’une potentielle victoire et d’une éventuelle accession au pouvoir avec la candidature de Kemal Kiliçdaroglu ?

On n'a jamais vu cela en Turquie. Les oppositions, de l’extrême gauche à l’extrême droite, sont unies autour d'un candidat. Ils n’ont qu’une seule politique comme programme gouvernemental, c’est de se débarrasser d’Erdogan. Pour la suite, ils n’ont en aucune idée. Comme dit auparavant, malgré les sérieuses chances qu’ont les oppositions, le système électoral devrait faire gagner le président sortant.

Et qu’en est-il de l’intégration de la Turquie à l’Union européenne ?

Certains membres des oppositions en parlent mais ce n’est pas une priorité. Ils savent même, peut-être, que les Européens, surtout de l’Ouest, ne sont pas prêts pour relancer la candidature de la Turquie, surtout que l’Europe se prépare actuellement à l’adhésion de l’Ukraine.

Puis, la Turquie a perdu tellement de terrain par rapport aux débuts des années 2000, où les choses allaient dans le bon sens, que même avec un nouveau président, cela pourrait prendre des années voire des décennies.

En Turquie, le régime d’Erdogan a détruit les institutions comme le ministère des Affaires étrangères, de l’Économie, de l’Armée ou même de la Justice. Politiquement parlant, l’Europe n’est plus du tout à ce chapitre. D’autant plus que les oppositions ne vont jamais s’entendre pour relancer la candidature de la Turquie.

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